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Promouvoir le génie féminin au cœur de l’Église​

Depuis mai 2017, Marta Rodriguez occupe un nouveau poste, peut-être un poste auquel elle n’avait jamais pensé et dans un endroit où elle n’aurait jamais cru travailler.

Marta, consacrée de Regnum Christi, est la nouvelle directrice (réellement la première) chargée des affaires des femmes au sein du dicastère pour les laïcs, la famille et la vie au Vatican. C’est un nouveau dicastère, créé par le pape François en 2016, dont le préfet est le cardinal Kevin Farrell. Le rôle de Marta est d’aider l’Église à comprendre les femmes et leur contribution au monde, ce que signifie être une femme dans notre monde actuel, et quels chemins emprunteront les femmes à l’avenir.

C’est une tâche considérable mais Marta est parvenue à ce poste après avoir occupé la fonction de directrice de l’Institut des Études Supérieures de la femme (Istituto di Studi Superiori sulla Donna) de l’Athénée pontifical Regina Apostolorum à Rome. Marta est vraiment une féministe, mais pas à la manière des féministes que l’on retrouve en tête des manifestations, lançant des pavés et criant des insanités. Non, Marta Rodriguez est une féministe au cœur de l’Église avec un cœur semblable à celui de Marie.

« Cette responsabilité manifeste un appel de l’Église, ce qui est pour moi un appel de Dieu, déclare Marta. Je me sens toute petite pour cette mission, mais je suis sûre en mon for intérieur que Dieu a préparé mon cœur pour ce nouveau service auquel il m’a appelée. Depuis l’an 2000 j’ai continuellement travaillé sur des affaires concernant les femmes, et dans mes études et dans les actions de projets variés, dont l’un des plus importants a été d’aider à la fondation de l’Institut des Études Supérieures de la femme en 2003. Cet institut est né afin de promouvoir le génie féminin, à la demande de Jean-Paul II.

Je crois que l’un des grands défis pour les femmes d’aujourd’hui est de découvrir ce que signifie être femme. Une fois que la femme découvre qui elle est, elle finit par découvrir la richesse féminine ; elle peut alors apporter sa contribution au monde culturel et au monde ecclésial avec bien plus d’enthousiasme, de courage et de liberté.

Je ressens une profonde gratitude envers l’Église qui nous a soutenues et accompagnées avec bonté pendant ces années et je suis heureuse de pouvoir être au service de l’Église pour laquelle nous avons reçu le charisme de Regnum Christi. Je ne me rends pas au dicastère en tant que Marta avec mon histoire personnelle, mais comme consacrée de Regnum Christi à qui Dieu a donné des talents pour servir toute l’Église. Je m’y rends aussi accompagnée par les prières de tous les consacrés, de nos frères légionnaires et des membres de Regnum Christi. »

Quelques mois après sa prise de fonction, nous avons rejoint Marta pour mieux faire connaissance. Comment en est-elle arrivée là ? Quel a été son parcours et comment affronte-t-elle ses nouvelles responsabilités ? Elle a accepté de répondre à quelques questions.

Quelle est l’origine de votre vocation au sein de Regnum Christi ?

Dès ma tendre enfance, Jésus réclamait tout mon cœur. J’ai toujours été assez romantique. Je pense que j’ai toujours été amoureuse de l’Amour ! Je me souviens avoir été effrayée par la perspective d’être appelée au célibat ! Je n’avais pourtant pas peur de me donner totalement, je ne craignais pas le sacrifice, la pauvreté, ni même l’obéissance. Mais, adolescente, je me voyais aux côtés d’un époux et d’une famille d’au moins quatre enfants !

Pourtant Jésus m’a demandé mon cœur une fois, puis deux, puis trois… simplement mais très clairement en me parlant au fond de mon âme. J’ai fini par m’abandonner dans ses bras, avec confiance, sachant bien qu’il saurait me rendre heureuse et que je ne serais pas déçue par lui. Lorsque je me suis décidée à me consacrer à lui, il me restait encore un an d’études secondaires. Je passais alors une année difficile. J’avais tout ce que l’on peut désirer : une famille merveilleuse (cinquième d’une famille de six enfants), une bonne éducation, beaucoup d’amis et la possibilité de poursuivre les études dans n’importe quel domaine. La question donc m’était posée. Mais ma confiance en Dieu était telle que j’ai décidé de répondre à son appel. Petit à petit, j’ai compris que ce que Dieu me demandait correspondait absolument à ce dont je rêvais : il ne voulait pas casser mes rêves, bien au contraire. Il me proposait de les suivre. Oui, j’ai vécu des moments durs et difficiles mais je peux assurer que durant ces vingt années de consécration j’ai bien senti que son amour remplissait mon cœur, me faisait m’épanouir en tant que femme et me permettait de donner la vie !

Quelle formation avez-vous reçu, quel chemin d’apostolat ?

J’ai passé les deux premières années au Centre de formation. À peine âgée de vingt ans, j’ai été envoyée à Rome où je vis depuis. Ma formation et ma mission s’y sont donc déroulées.

Ma première mission à Rome a été de faire partie d’un groupe de réflexion qui s’adressait à la direction générale de Regnum Christi. Notre mission consistait à développer le « nouveau féminisme » que Jean-Paul II avait promu dans sa Lettre aux femmes en 1995. Nous travaillions à partir des idées et documents provenant d’équipes actives répandues dans douze pays.

Après deux années, on m’a confié la coordination de notre équipe et la conduite du travail sur le terrain. J’étais très jeune et j’ai été « contrainte » de grandir avec rapidité ! J’ai dû présenter des conférences dans des congrès internationaux, en coordonnant douze équipes à travers le monde, travaillant avec des professeurs, des responsables d’opinion et même des hommes politiques.

Aujourd’hui je me rends compte comme c’était fou ! Car il est évident que je n’étais pas capable de remplir ce rôle. J’ai commis bien des erreurs. Mais j’ai tellement appris de ces années. C’était un cours intensif dans des domaines aussi variés que la direction, la communication, le travail d’équipe, le leadership. Je grandissais également dans mon amour de l’Église et dans l’espérance. Pendant cette période j’ai terminé mes cours en éducation et développement de l’Université Anahuac.

En 2004, j’ai reçu une nouvelle mission. On m’a confié la direction du travail pastoral de Rome. J’étais chargée de la jeunesse et des adolescents ; dix consacrées dépendaient de moi. Conseillère dans nos écoles et pour les équipes qui travaillaient dans d’autres villes italiennes, j’assurais la liaison du service accompli par quatorze consacrées dans dix paroisses. Je faisais partie de l’équipe pastorale de notre université romaine, Universita Europea di Roma, nouvellement créée.

J’étais aussi en charge de la coordination des vocations en Europe. De années intenses, remplies de belles expériences. Nous avons lancé des projets apostoliques, organisé des retraites, des formations, des missions, des camps d’été. J’ai passé des années à écouter des enfants à partir de l’âge de neuf ans, des adolescents, des jeunes filles, des mamans et même des grands-mères. Un vrai apprentissage pour moi. J’ai beaucoup appris sur le cœur des femmes et de l’humanité en général. En même temps, j’ai suivi une maîtrise en philosophie et en anthropologie.

En 2009, on m’a confié la direction de l’Institut d’Études Supérieures de la femme de l’Athénée Pontifical Regina Apostolorum, où je reste en poste jusqu’à ce que mon successeur y soit bien en place. J’adore cet Institut !

Ces huit dernières années nous avons tant progressé. En ce moment nous travaillons dans deux domaines principaux, anthropologie et famille/travail. Pour l’anthropologie, nous avons une équipe de recherche, composée d’hommes et de femmes de plusieurs disciplines (philosophes, théologiens, psychologues, hommes de loi, neuroscientifiques). Depuis 2014 nous travaillons sur la signification de l’identité sexuelle.

Ces recherches nous ont menés à publier deux livres (Differenza femminilepublié par Aracne et Significare il corpo par l’Athénée), nous avons offert cinq cours et organisé de nombreuses rencontres et séminaires sur nos sujets.

Pour notre autre domaine d’intérêt – famille et travail – nous voulons promouvoir la contribution de femmes dans le champ professionnel, et améliorer l’équilibre travail/vie. J’aide un groupe d’entrepreneurs et de leaders d’affaires qui ont lancé un projet « Value@Work », dont la mission est de placer la personne au cœur des modèles économiques et organisationnels. Nous avons beaucoup de projets et activités avec « Value@Work ».

L’Institut a un autre beau projet nommé « Valore Mamma » qui soutient les mères de famille et développe l’idée que la maternité a une valeur sociale que l’on doit protéger. Nous avons aussi des projets et activités avec des jeunes et de nombreuses activités de formation en général. Au sein de l’Institut, j’ai eu l’occasion de travailler avec des professeurs, des prêtres et religieux, des hommes politiques, des hommes d’affaires, des jeunes, des personnes qui travaillent dans les média, et même des personnes du monde de la mode. Quelle richesse ! Au cours de ces années j’ai aussi suivi une maîtrise de bioéthique.

Pourquoi vous a-t-on demandé d’accepter ce nouveau poste ?

En février 2016, j’ai eu une interview avec le cardinal Kevin Farrell, notre Préfet. Il m’a demandé d’accepter ce poste. Je ne pouvais pas refuser parce que je ressentais que Dieu m’appelait à le servir de cette façon. J’ai accepté en déclarant que je pensais que Dieu avait préparé mon cœur pour ce poste. Il ne s’agissait pas de talents ou de compétences, on n’est jamais à la hauteur d’une telle tâche. J’ai senti être appelée à cette responsabilité avec le cœur de Marie. Voilà peut-être ma vraie contribution. J’ai demandé à garder la direction de l’Institut pour deux années supplémentaires afin de préparer la nouvelle directrice, ce qui m’a été accordé. J’ai aussi besoin d’étudier car j’ai commencé l’an dernier mon doctorat en philosophie à l’université pontificale grégorienne.

Le dicastère n’a été créé qu’il y a un an. Comment cela prend-il forme ?

Nous formons une équipe. Il y a encore bien des points à améliorer dans l’organisation, à commencer par le choix d’assistants-secrétaires que nous attendons encore. Notre secrétaire est arrivée le 1er septembre. C’est donc une période de démarrage et de croissance. Le pape est venu nous rendre visite en octobre et il nous a encouragés à travailler avec une nouvelle mentalité, pour élargir les horizons et pour prendre le pouls du monde afin de prêcher d’une nouvelle façon. Je pense que c’est notre intention à tous, dans ce contexte.

Quelles sont les sources de joie les plus importantes et les récompenses ?

Cet immense horizon que représente l’Église entière, le monde entier, me plaît infiniment. J’avais conservé jusqu’à maintenant une vue et une mentalité très européennes. Aujourd’hui j’apprends à écouter les besoins et requêtes de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique. Quelle stimulation enrichissante !

J’ai toujours aimé les études, spécialement en rencontrant des gens. Je précise que j’ai davantage appris des personnes que des livres (même si les études sont importantes !). Ma nouvelle position me donne une belle fenêtre sur le monde et tant d’occasions d’apprendre.

Quels sont les plus grands défis, peut-être même des déceptions ?

Je trouve très difficile de me détacher de l’université et de ceux qui en font partie. L’université est une famille pour moi. J’ai reçu beaucoup d’inspiration et de motivation de la part de Marie. Elle est devenue la Mère de l’Église quand elle n’avait que le trésor de son cœur en elle. J’ai ressenti quelque chose de semblable quand j’ai commencé à travailler au sein du dicastère. On m’a appelée à porter du fruit à partir du cœur de l’Église, et cette vie passe par l’offrande de mon cœur.

Je me bats aussi avec le rythme et le temps. La vie au Vatican a un rythme très différent de celui de l’extérieur. Tout doit être bien réfléchi, analysé. À présent je ne suis pas seulement Marta, je représente le Saint-Siège. Cela demande de la prudence et les décisions réclament plus de temps. Je ne suis pas habituée à cela et je deviens impatiente, désirant que les choses se fassent plus rapidement. J’ai tellement à apprendre.

Vous avez passé 17 ans à travailler sur des « sujets de femmes », qu’est-ce que cela signifie ?

J’ai déjà parlé de mon histoire, mais je n’ai pas encore parlé de la dimension pastorale ou de l’application de notre recherche. Comme je l’ai précisé, nous avons beaucoup travaillé sur la signification de la différence sexuelle, féminité et masculinité. Dans mes temps libres j’ai développé l’application pastorale de ces idées. J’ai commencé par faire une conférence à des femmes mariées sur la féminité, l’expliquant à partir de notre corps. J’ai été très impressionnée de voir comme elles étaient touchées à un niveau existentiel. Je me suis rendu compte que les femmes d’aujourd’hui ne connaissent pas la signification d’être une femme. C’est un problème d’identité. Aussi ai-je développé un cours que j’ai présenté de diverses façons à des étudiants universitaires, à des religieuses, à des consacrées. Cela m’a incité à développer l’idée de l’importance d’intégrer les dimensions sexuelles et affectives à la vie consacrée et, ces deux dernières années, j’ai donné sept cours intensifs sur ce thème à différents groupes religieux. C’était une expérience extraordinaire inspirée par l’Esprit. Je maintiens que la consécration doit être une façon d’accomplir et de faire fructifier toute notre féminité. Quand nous sommes « moins femmes » nous ne vivons pas pleinement notre consécration. Lors de ces cours j’ai vu la profonde action de l’Esprit Saint dans le cœur de mes sœurs, faisant naître de nouvelles choses.

C’est pourquoi j’ai développé ce cours pour les prêtres et les séminaristes et j’ai présenté de nombreuses conférences et cours à des groupes de religieux. Je crois que c’est cet aspect de ma mission que j’apprécie le plus.

Êtes-vous féministe ?

Il y a tant de genres de féminismes que je crois pouvoir m’identifier avec certains mais pas avec d’autres. Si je suis une féministe, cela signifie pour moi que je crois profondément dans le génie féminin et que je vois combien il est nécessaire dans la famille, la culture, la politique, les sciences. Mais je n’aime pas trop parler des femmes, ou seulement avec des femmes. Je pense qu’il est temps de réfléchir sur le sens d’être une femme et un homme, mais ensemble. Je préfère des équipes mixtes plutôt que des équipes seulement de femmes ou seulement d’hommes. Je crois que culture et travail ont besoin de la contribution des deux ensemble, de la synergie des deux. On reconnaît facilement cela, mais il existe tant de barrières qui bloquent cette synergie. Je suis d’accord d’enlever ces barrières (dans l’Église et hors de l’Église) mais je ne suis pas d’accord avec leur interprétation dialectique, qui conclut que les hommes sont naturellement source de violence et soumission. Je pense que nous trouvons notre identité dans la rencontre avec l’autre, et qu’ensemble nous sommes pleinement créatifs.

L’Église a-t-elle traité les femmes en citoyennes de seconde classe ?

Parfois, dans l’histoire, oui. L’Église est le corps mystique du Christ, mais c’est aussi une institution humaine. Elle n’est pas libre de la culture où elle vit. De nos jours je dirais que l’Église en tant qu’institution reconnaît la dignité de la femme, et ne la considère pas comme une citoyenne de seconde classe. Un regard rapide sur les quatre derniers papes est suffisant pour le prouver.

Mais la théorie est une chose et la vie en est une autre. Il existe encore bien des barrières culturelles et des craintes. Je crois que nous avons devant nous un défi éducationnel important. Voilà l’un des points que je sens être du ressort de ma mission : la promotion de la collaboration entre les hommes et les femmes au sein et en dehors de l’Église. Pour y arriver il faut éduquer les prêtres, les religieux et les laïcs à une relation adéquate.

D’après vous, quel est le rôle vital des femmes dans l’Église ?

Chacun de nous est un membre vital du corps du Christ. En tant que femme j’ai une perspective différente de celle d’un homme. La femme apporte, oui, un génie féminin et une maternité spirituelle. Ainsi plutôt que de parler du rôle vital des femmes dans certaines tâches, titres ou positions, je crois que le véritable rôle vital est d’être réellement femmes au sein de l’Église, nourrissant, aimant, conduisant, suivant – comme l’a fait Marie.