Pour ma cinquième année au Mexique, me voilà à l’Ejido Jiquilpan, Valle de Mexicali, à la frontière des États-Unis. Une chaleur torride ! J’y ai croisé Nena, une couturière apache, fille du fondateur du village dont le ranch, traversé par la frontière, a été divisé en deux il y a moins de trente ans, sans dédommagement.
Je me prépare pour le chemin de croix vivant du Vendredi Saint. Je reconnais, maquillé de confiture de fraise, fouetté et suivi par deux soldats à cheval, le visage de Jésus. J’ai croisé ce jeune homme le matin même. Sa femme et ses enfants, aux USA, lui reprochent d’être loin d’eux : on lui refuse le visa et il lui reste sept ans à attendre. Je sors des deux heures de marche à la suite de mon Jésus souffrant avec une insolation légère qui ne fera qu’augmenter pendant les trois célébrations de la Passion de la journée. Une famille que je connais bien arrive en retard à la dernière cérémonie. Je ne comprends qu’à la sortie où ils étaient. Leur mère est paralytique, ils ont à peine de quoi nourrir leurs enfants, et ils sont allés à la pharmacie m’acheter de quoi me remettre de ma déshydratation sévère.
Voilà de quoi sortir un bientôt doctorant de poésie grecque classique de son autre monde, celui de son séminaire nourri de chant grégorien et des oeuvres magnifiques de saint Grégoire de Nazianze. Un mur de prison (la frontière) sépare ces gens de la richesse tandis que le manque de travail, voire la violence règne dans cette terre ultra féconde où le prêtre et la confession sont préférés aux prédicateurs protestants.
Ce n’est pas la Pâque habituelle au Mexique mais c’est celle de la plupart des mexicains, la joie d’avoir un prêtre pour pouvoir pleurer et reprendre espoir. Pour les jeunes qui m’accompagnent, d’un niveau de vie supérieur à la moyenne européenne, c’est apprendre la vie de l’esprit, le partage ainsi que la richesse de la pauvreté et de la souffrance du Christ présente dans les pauvres du monde entier.