La condition de serviteur
À l’âge de 17 ans, juste après le bac, j’ai décidé de consacrer ma vie au Seigneur. Pour moi, il était évident qu’il m’appelait. Jusqu’alors, j’étais toujours une enfant préoccupée de l’autre. Dès que je voyais un reportage sur la situation des personnes au Sahel, en Angola ou ailleurs, je ne pensais plus qu’à une chose : me rendre là-bas pour apporter ce dont ces gens manquaient. Adolescente, j’ai pensé suivre des études en psychologie dans ce souci d’aider mon prochain. Je voyais autour de moi des personnes sombrer dans différentes situations malheureuses et je pensais qu’il était dommage que, par manque d’aide, ils puissent abîmer toute leur vie et ne pas vivre totalement le bonheur.
C’est décidé !
C’est une grâce de grandir dans une famille où l’on apprend que toutes les choses peuvent être partagées : le temps, l’espace et les opinions. Je viens d’une famille catholique et des liens étroits unissent chacun de ses membres. Avec le désir de servir autrui, je ne pouvais décider de suivre un cursus normal qui passerait par le mariage, les enfants, la famille. Ce chemin n’était pas exclu mais je voyais bien qu’il ne répondait pas complètement à l’appel ressenti dans mon cœur. C’est à cette époque que j’ai rencontré des personnes consacrées et, avec elles, j’ai perçu un écho qui résonnait en moi. Quand j’ai compris que pour atteindre ce bel objectif, il me fallait tout quitter, j’ai eu quelques réticences. C’est dès l’âge de 15 ans que le combat vocationnel a commencé et, à 17 ans, ma décision était prise. C’était, jusque-là, la seule folie de ma vie et je ne l’ai jamais regrettée. J’ai juste eu la conviction que Dieu, entrant dans ma vie, pouvait y faire de grandes choses. Mes parents auraient préféré que j’attende un peu avant de prendre de tels engagements mais je voyais clairement que Dieu m’appelait et je ne pouvais remettre à plus tard ma réponse. Je suis arrivée à Rome, au sein du mouvement Regnum Christi où j’ai commencé ma période de formation.
Une étrange vision de moi-même !
Quand j’ai discerné l’appel de Dieu, j’ai aussi perçu la notion de renoncement et de sacrifice ; entre Jeanne d’Arc et moi, je ne voyais aucune différence ! Je pensais pouvoir être la martyre la plus remarquable du moment parce que je renonçais à tout. Dans une certaine mesure, c’est vrai que l’on renonce à quelque chose ! Or, j’adore les enfants, les bébés, et je décidais pourtant de me priver volontairement de maternité. Je savais que la mission allait m’éloigner de ma famille pour être offerte à une famille plus large, mais encore inconnue. Je savais aussi que l’amour divin n’était pas le même que l’amour humain. C’est certainement une méconnaissance de l’amour divin qui me faisait croire que la réponse à l’appel de Dieu était un sacrifice digne de celui de Jeanne. Aujourd’hui, 34 ans plus tard, je sais que l’appel qui réclamait ma vie est avant tout un don de Dieu lui-même. Dieu se donne à moi autant que je tente de me donner à lui. J’ai renoncé à avoir une famille mais je ne sais comment compter le nombre de personnes rencontrées dans ma vie qui, par leur amour, m’ont comblée. Il est vrai que j’ai renoncé à posséder, autant une famille que mon temps, mais je n’échangerais pas une seconde de ma vie pour autre chose parce que les expériences vécues, les pays visités, les cultures approchées, les gens rencontrés sont des richesses inestimables.
En entrant dans cette aventure, je me voyais également comme le Sauveur du monde. J’imaginais tout ce que Dieu allait pouvoir faire à travers ma vie : il était temps que j’arrive pour aider le ciel ! J’ai rapidement corrigé cette vision orgueilleuse. Je ne suis ni Jeanne d’Arc, ni le Sauveur. C’est en donnant, en me donnant, que j’ai reçu ; et j’ai reçu bien plus que tout ce que je pouvais donner. Je ne pouvais imaginer une vie si riche dans le dépouillement. Je ne me sens plus à la hauteur, et chaque jour, de moins en moins. Je mesure que c’est le Seigneur qui agit à travers moi. Cela m’oblige à toujours mieux me préparer au service et à prier toujours plus parce que tout ce qui arrive est de l’ordre surnaturel. Ce n’est pas la parole que je prononce qui puisse vraiment aider une personne – même s’il faut que je la dise – c’est plutôt la grâce de Dieu qui intervient.
La Parole au cœur du couple
Aujourd’hui, à Paris, je m’occupe de la pastorale des jeunes adolescents et des catéchistes ainsi que celle des couples. C’est une mission très diversifiée. Le travail auprès des couples nécessite une grande capacité d’écoute de toutes les réalités concernant le mariage, la famille, les enfants, etc. Nous devons être en phase avec la réalité des personnes et des problématiques que rencontre la vie conjugale. Ces apostolats m’ont obligée à me remettre à l’étude et à la lecture de documents, comme ceux préparés par le Synode sur la famille. La théorie est très bonne mais, ensuite, il y a le cheminement de chaque histoire et chaque couple a une histoire différente. Chaque mois, nous avons un temps de prière avec une soixantaine de couples. Nous apprenons ensemble à prier et nous nous penchons sur la Parole de Dieu. C’est en étudiant et en méditant cette Parole que nous passons des sujets spirituels à des thèmes plus relationnels. La Parole vient visiter notre réalité pour l’éclairer. Nous proposons également des temps de retraite et des renouvellements des vœux du mariage. Il y a, naturellement, des moments où je ne rencontre qu’un couple à la fois, et non plus un groupe, même si nous créons un climat de confiance et de partage au sein du groupe. Il y a des intimités à respecter. J’ai observé que ma consécration permettait aux personnes d’être tirées vers le haut, et c’est d’ailleurs là que je suis attendue. C’est l’amour de Dieu qui vient au secours de l’amour humain. Le premier est infini alors que le second peut être en panne.
Avec des jeunes, en hiver, nous allons dans Paris pour distribuer du chocolat chaud aux personnes qui dorment dans la rue. La première chose que j’enseigne aux jeunes est la suivante : « Asseyez-vous sur le trottoir avant même de parler aux personnes qui s’y trouvent ! » En effet, il faut être à ce niveau pour rencontrer les gens, être à leur « hauteur » et non les obliger à se tordre le cou pour vous voir debout, et si loin. Cette pratique est la leçon par laquelle je suis moi-même passée, et c’était un chemin nécessaire. C’est ce que nous enseigne le Christ et dont parle si bien saint Paul : « Le Christ a de lui-même renoncé à tout ce qu’il avait et il a pris la condition de serviteur. Il est devenu homme parmi les hommes, il a été reconnu comme homme ; il a choisi de vivre dans l’humilité. » (Ph 2, 7). Il est difficile de reconnaître tout le temps qu’il nous faut pour apprendre l’humilité et pour la vivre. Si, au travers de ma mission, une personne peut découvrir l’amour de Dieu, c’est le bonheur de toute ma vie. Chaque personne que je croise a le droit de rencontrer le Seigneur en moi, de ressentir la présence de Dieu à travers la servante que je suis.
Le difficile chemin de l’humilité
Si, demain, une jeune fille de 17 ans venait vers moi en me disant vouloir prendre le même chemin que moi, je ne sais pas quel conseil je donnerais. S’engager pour la vie à 17 ans dans un monde sans cesse en mouvement et en changement, c’est très compliqué.
Mon conseil serait, finalement : demande au Seigneur de parler à ton cœur et ne manque ce rendez-vous pour rien au monde. Chemine et chemine encore, mais sache que si le Seigneur frappe à ta porte et te demande d’accepter qu’il soit le seul amour de ta vie, il ne te décevra pas.
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